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Fleurs alpine  © Yanbal

En moins de dix ans le réchauffement climatique a modifié la flore de France

Sciences participatives

 

Pour la première fois, les chercheurs constatent un changement de composition des communautés végétales à l’échelle nationale. Et ce, en moins de dix ans ! J’ai interrogé Gabrielle Martin doctorante au MNHN, qui a obtenu ces résultats inédits à partir des données Vigie-Flore.

Plantes et mercure ont toujours été étroitement liés. Comme nous, comme tous les êtres vivants, les végétaux ont besoin d’évoluer dans un environnement ni trop chaud, ni trop froid selon les exigences des espèces. Pour chacune d’entre elles, les scientifiques ont ainsi défini un Indice de Préférence Thermique (IPT), qui renseigne sur la température optimale nécessaire à leur développement. La température où ils se sentent le mieux, en somme. Une fleur de haute montagne, par exemple, qui supporte de très basses températures, présentera une température optimale bien plus faible qu’une méridionale.
 
« Pour la première fois, nous avons pu montrer que la préférence thermique des communautés de plantes change depuis 2009 dans les plaines de France »confesse Gabrielle Martin, doctorante au CESCO en s’appuyant sur les derniers résultats Vigie-Flore (1) présentés aux journées nationales le 7 avril dernier. En clair : la flore a changé de visage. Et à une vitesse vertigineuse : en moins de dix ans !
 
Remonté vers le nord et escalade en montagne
 
Il est aujourd’hui acté que le réchauffement climatique pousse les plantes à migrer vers le nord pour trouver un peu d’air frais. Et cela ne devrait pas ralentir :  selon certaines modélisations (2) le chêne vert, espèce emblématique du sud de la France, devrait pouvoir à terme s’installer un peu partout. Il pourrait ainsi recouvrir les trois quarts du pays en 2100 ! Mais ce mode de déplacement « horizontal » n’est pas sans difficulté, notamment lorsque le paysage est morcelé, qu’il faut parcourir des kilomètres à travers routes pour qu’une graine trouve enfin une terre accueillante.
 
Pour fuir la hausse des températures, une autre stratégie mise en œuvre par les plantes consiste à rejoindre les sommets montagneux. Une étude de 2008 menée par l’université de Nancy a observé la variation de l’altitude de 171 espèces forestières en montagne sur 100 ans (3). Résultat : les plantes ont « grimpé » de 66 mètres en moyenne pour suivre leurs températures optimales. Cet attrait pour les hauteurs a même fini par rendre les régions montagneuses bien plus fleuries qu’auparavant. Selon une autre étude qui a scruté des centaines de sites en Europe, il y aurait même cinq fois plus d’espèces sur les sommets qu’il y a cinquante ans ! « Ces résultats montrent que le phénomène d’escalade est non seulement flagrant mais très rapide, m’explique Gabrielle. Il est en effet plus facile pour une plante de s’élever de quelques mètres vers les hauteurs que de parcourir des kilomètres vers le nord pour retrouver des conditions de température similaires
 
C’est aussi pour cette raison que, toujours selon ces études, les mêmes espèces en plaine se déplacent moins vite qu’en montagne. Un « retard climatique » « qui s’explique par la fragmentation des paysages plus importante en plaine qu’en montagne, et par le fait qu’il y a une plus grande proportion d'espèces résistances localement au réchauffement. »
 
En moyenne, les espèces se déplaceraient de 12,2 mètres par décennie en hauteur, et 17,6 km par décennie vers des latitudes plus froides (4).
 
Fleurs alpine  © Yanbal

En 100 ans les plantes ont « grimpé » de 66 mètres en moyenne pour suivre leurs températures optimales

 
 
La flore change de visage…
 
Mais au-delà de cette grande migration végétale, les chercheurs du CESCO - où officie Gabrielle- viennent de mettre en évidence un autre phénomène en s’appuyant sur les données de Vigie-Flore. Parmi les 550 espèces les plus communes de l’hexagone, 246 espèces voient leur abondance varier significativement. Autrement dit, près de la moitié des espèces communes changent ! Certaines espèces deviennent plus fréquentes dans le temps alors que d’autres disparaissent. « Celles qui se maintiennent bien et qui colonisent facilement de nouveaux endroits sont celles qui ont un indice de préférence thermique plus élevé, c’est à dire qui préfèrent la chaleur » précise Gabrielle. Parmi ces plantes favorisées on retrouve par exemple le Brome de Madrid (Anisantha madritensis) ; et chez les frileuses en régression, la Gentiane des Alpes (Gentina alpina) (voir photos à la fin)
 
La question de la cause de ces changement brutaux s’est alors posée : est-ce la faute du réchauffement climatique, sur une période aussi courte que 9 ans ?  En collectant les données de températures journalières des sites échantillonnées par les « vigie-floristes », la doctorante a constaté une hausse significative des températures moyennes entre 2009 et 2017. « Cette augmentation apparaît être en lien avec les changements observés au sein des communautés végétales : les sites avec variations importantes de températures sont aussi ceux qui ont subi un fort remplacement d’espèces au cours du temps, par un déclin des espèces les moins tolérantes à la chaleur au profit des espèces plus tolérantes. »
 
Pour valider le lien de causalité, il a fallu regarder les autres facteurs qui pouvaient entrainer une augmentation de certaines espèces, parmi eux la préférence des plantes aux nitrates, au CO2, et à l’humidité.Or, « il n’y a pas de changement significatif de ces paramètres au cours du temps. » Tout indique donc que le réchauffement climatique observé sur cette petite décennie a pu provoquer à lui seul la modification des communautés de plantes.
 
2018-05-04_2.png

A gauche l'augmentation de la préférence thermique des communautés, à droite l'augmentation des temperatures au cours du temps. 
 
… dans tous les milieux et chez les plantes annuelles 
 
« Les milliers de données Vigie-flore recueillies dans tous les milieux, nous montrent que la modification significative de la flore est générale ! » insiste Gabrielle. Les précédents travaux portaient exclusivement sur des espèces de forêt à la fois en plaine et en montagne. Or, dans la base de donnée du programme que la doctorante décortique depuis plusieurs années, seulement un quart des échantillons proviennent des forêts (24,1%). Le reste est issu des milieux agricoles (25,2%) surtout, mais aussi rudéraux (21,8%), urbains (12,3%) et de prairies (11,6%). « Je vais maintenant essayer de zoomer sur les différents types d’habitats pour voir comment les communautés évoluent pour chacun d’entre eux. »
 
Autre fait notable de l’étude : les changements semblent être étroitement liés au cycle de vie des plantes. « Nous avons remarqué que les plantes annuelles qui effectuent leur cycle sur une période d’un an, sont les plus affectées par les changements de température. A  l’inverse, les arbres et les autres plantes pérennes, qui vivent plusieurs années, montrent moins de modifications… » Ce n’est pas surprenant, comme pour toutes les espèces, plus le cycle de vie est court, plus la réaction à des changements environnementaux est rapide.
 
Plasticité
 
Ces suivis, en particulier ceux obtenus grâce à Vigie-Flore, sont la preuve flagrante qu’une faible variation de la température entraîne un changement important et rapide. La flore fait donc preuve d'une grande capacité de réaction. Mais quid des autres, celles qui restent silencieuses ? Car évidemment, toutes les plantes ne choisissent pas entre le déclin ou l'épanouissement face au réchauffement. « Nous avons calculé que sur les 550 espèces les plus communes, un quart environ sont en augmentation (125) et un quart décline (121). Mais aussi que la moitié ne varie pas ! » Pourtant cela ne veut pas dire que ces dernières ne se modifient pas. Les plantes peuvent en effet montrer une certaine plasticité, leur permettant de s’adapter en restant sur place. Elles émergent de terre, par exemple, bien plus tôt au printemps que par le passé. Selon les chercheurs d’une récente étude, les feuilles et fleurs sortent même entre 2,5 et 5 jours plus tôt par degré de réchauffement !
 
A contrario lorsque les communautés n’arrivent pas à s’adapter au réchauffement, on peut arriver à un stade très critique que l’on nomme l’attrition biotique. « Il arrive que les plantes soient tellement éloignées de leurs conditions optimales de température que l’adaptation n’est plus possible, précise Gabrielle. Cela entraînant, à terme, la disparition des espèces. » C’est donc à un véritable « remaniement brutal » des communautés végétales que nous pourrions être confronté à l'avenir. Difficile de savoir quelles en seront les conséquences. Visuellement, pour l’instant, - à part en montagne ou chez les botanistes aguerris -, difficile de se rendre réellement compte du phénomène. Ce qui est certain, c’est que tout l’écosystème devrait s’en trouver bouleverser. Et il y a de quoi s’interroger : Comment vont cohabiter les unes avec les autres  les espèces au sein des nouvelles communautés ? Les pollinisateurs de ces communautés de plantes seront-ils toujours au rendez-vous pour les aider à se reproduire ? 
 
Et vous, avez-vous déjà constaté chez vous les changements de communautés de plantes ?
 
 
 
bromus_madritensis2473.jpg

Le Brome de Madrid (Anisantha madritensis),  est en augmentation...

Gentiane  © genevieveromier

...alors que la Gentiane des Alpes (Gentiane alpina), est en régression


 
 
(1)Pour qui ne connait pas Vigie-Flore, il s’agit de notre programme de science participative à destination des botanistes qui réalisent des relevés dans tout le pays. Depuis sa création en 2009, 2 428 espèces ont été échantillonnées sur 3118 sites en France, ce qui correspond environ à un peu plus d’1/3 de la flore française (~6000 espèces en tout).
(2) Delzon et Kremer 2012)
(3) Lenoir et al. 2008 Science

 

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