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pigeons ©  dennis_ab (Flickr)

Pigeons mutilés : pourquoi nous sommes responsables

Sciences participatives

 

Une récente étude du Muséum fait la lumière sur un phénomène mal connu qui a entaché l’image du pigeon, jusqu’à le faire passer pour un nuisible. Injustement.

 

Affreux, sales et méchants. Ils assiègent les places publiques, répandent leurs fientes acides et lorgnent avec insistance nos casse-croûtes…. C’est peu dire que les citadins ne portent pas les pigeons dans leur cœur. « Ils passent pour des animaux malpropres, qui marchent dans leurs excréments. On les pense ainsi porteurs de pathogènes. Il faut s’en méfier comme de la peste » résume ironiquement Frédéric Jiguet, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle.

Paradoxe de cette animosité, le Pigeon biset - le plus répandu dans les agglomérations - a toujours été très utilisé par l’Homme. Elevé pour sa chair tendre depuis l’Antiquité, puis, jusqu’au début du XXème siècle, pour acheminer des messages, notre pigeon des villes s’est ainsi séparé progressivement de sa souche sauvage qui vivait jadis dans les falaises. Chassée, métissée avec son congénère domestique, cette dernière a quasiment disparu des radars. Notre volatile actuel est donc un mélange, sans avoir pour autant perdu ses instincts ancestraux. « Le Pigeon biset s’est de suite senti à l’aise dans les grandes villes, parce que les bâtiments, ces grandes surfaces verticales, leur rappellent les falaises, idéales pour nicher, pondre, explique Frédéric Jiguet. Ensuite leur régime omnivore, leur capacité à se reproduire toute l’année ont favorisé leur développement urbain. »

Délit de sale gueule

Contrairement à deux espèces demeurées à l’état sauvage – les Pigeons ramier et colombin -, qu’il côtoie dans les jardins publics, le biset se déplace très peu et traine surtout ses guêtres sur la terre ferme. Pédestre et sédentaire, il a su trouver dans les déchets domestiques un fantastique garde-manger. Dès le XIXème siècle, alors que l’hygiène devient une cause prioritaire dans les centres-villes, il se voit reléguer au rang des « nuisibles », au même titre que son alter ego des sous-sols, le rat. Plus que de véritables problèmes de cohabitations, c’est son image de bête sale qui lui colle aux plumes depuis lors. On lui reproche une appétence pour les déchets, et par conséquent de véhiculer des microbes. Une idée reçue, selon Frédéric Jiguet : « les problèmes d’hygiène sont extrêmement marginaux. En ville, nous vivons entourés de pigeons, s’ils étaient dangereux pour l’homme ça se saurait ! »

Pour le chercheur cet injuste rejet serait en partie lié aux fréquentes mutilations qui affectent les pattes des pigeons tout en leur donnant cet air de mutant : on a tous eu l’occasion, en effet, d’observer un de ces volatiles marcher péniblement avec des doigts en moins, parfois sur un moignon. Un délit de sale gueule plutôt qu’une réalité sanitaire ? Cela fait longtemps que scientifiques, ornithologues et soigneurs connaissent l’origine de ces blessures. « Beaucoup de gens pensent que les blessures seraient liées à la saleté des pigeons, à leur proximité aux ordures. En réalité les oiseaux se prennent les pieds dans des bouts de ficelle, des cheveux, ce qui provoque une strangulation, puis la nécrose des doigts qui finissent par tomber. »

Coiffeurs et jardins

Ce phénomène spectaculaire a été peu étudié avant que l’équipe du chercheur ne se penche sérieusement sur la question. Dans chacun des 46 points représentatifs de la capitale, les chercheurs ont tout simplement compté, pendant plusieurs semaines, pour chaque animal rencontré, leur nombre de doigts, tout en essayant de relier ces traits morphologiques aux variables environnementales. Des facteurs de risques sont ainsi apparus : « La densité de population humaine, la densité de bâti semblent augmenter le nombre de mutilations. Plus surprenant, nous nous sommes aperçus que la fréquence de mutilation augmentait aussi avec la quantité de salons de coiffure. »

Patte de pigeon estropiée © Frédéric Jiguet / MNHN

Les pigeons présentent souvent de nombreuses mutilations aux extrêmités

 

Il suffit de se promener à la fin d’un marché, avant que le service de ramassage n’évacue les déchets, pour imaginer le processus. En se déplaçant au milieu des ordures, les animaux se prennent les pattes dans toutes sortes de résidus filamenteux : ficelles de poubelle, fils de couture, sans oublier les cheveux provenant notamment des salons de coiffure. La suite est purement mécanique : « 9 fois sur 10 le pigeon s’en débarrasse, mais il arrive que tout cela se resserre jusqu’à ce qu’il ne puisse plus s’en débarrasser. »

Gestion des déchets

Outre l’aspect esthétique, de telles amputations ont des conséquences graves sur les individus malchanceux : « Ils vivent sans doute moins longtemps, car ils peuvent devenir plus vulnérables aux pathogènes, et ont certainement des problèmes pour s’accoupler. Imaginez dans ces conditions courir après une femelle et monter sur son dos… » Sans parler de la souffrance chronique engendrée…

D’un point de vue éthique, esthétique, mais aussi par souci de vérité, il serait temps de rendre justice à cet animal honni malgré lui. D’autant que le pigeon domestique est un modèle d’étude très intéressant. En vivant dans un périmètre restreint – il ne traverse jamais une ville d’un bout à l’autre -, il est un bon indicateur des impacts de la pollution en milieu urbain. « Un oiseau migrateur blessé en ville, par exemple, ne dit rien de l’environnement où il a atterri, en revanche le pigeon nous dit beaucoup de chose sur l’état de nos villes »

Selon les auteurs, les résultats en disent long sur nos problèmes de déchets, dont ils préconisent une meilleure gestion. « Nous voulons faire comprendre que la pollution est néfaste aux pigeons et à la faune urbaine en général. Ce n’est pas lui qui nous menace, c’est nous qui les maltraitons. »

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